Il y a quelques ann\u00e9es, j\u2019ai accompagn\u00e9 un groupe de jeunes \u00e0 une conf\u00e9rence bilingue qui devait durer une semaine. Si la conf\u00e9rence \u00e9tait bilingue, la majorit\u00e9 des \u00e9l\u00e8ves participants et des adultes accompagnateurs, eux, ne semblaient pas l\u2019\u00eatre. Bien que j\u2019\u00e9tais \u00e0 l\u2019\u00e9poque assez bon en anglais pour assurer ma survie, c\u2019\u00e9tait la premi\u00e8re fois de ma vie que j\u2019\u00e9tais priv\u00e9 de fran\u00e7ais pour une p\u00e9riode de temps assez longue. En fait, apr\u00e8s trois jours, j\u2019\u00e9tais psychologiquement \u00ab en manque \u00bb, au point d\u2019en \u00eatre physiquement malade. Je me souviens avoir alors bri\u00e8vement pens\u00e9 \u00e0 un camp d\u2019\u00e9t\u00e9 immersif o\u00f9 j\u2019avais \u00e9t\u00e9 moniteur et o\u00f9 on avait fait signer un contrat aux \u00e9l\u00e8ves, leur interdisant l\u2019usage de l\u2019anglais pour la dur\u00e9e du s\u00e9jour\u2026 de six semaines! N\u00e9anmoins, comme j\u2019\u00e9tais pr\u00e9occup\u00e9 davantage de mon \u00e9tat \u00e0 ce moment-l\u00e0, j\u2019ai cru bon de partager ce qui m\u2019arrivait avec les autres adultes du groupe, toujours dans mon anglais approximatif. \u00c0 ma grande surprise, la plupart \u00e9taient bilingues et se sont mis, miraculeusement, \u00e0 me parler en fran\u00e7ais. J\u2019\u00e9tais gu\u00e9ri! \u00c0 ce jour, plusieurs sont rest\u00e9s des amis que je revois avec grand plaisir. N\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 de cet \u00ab incident \u00bb, et compte tenu de mon niveau d\u2019anglais d\u2019alors, je me demande encore si nous aurions pu cr\u00e9er ces liens qui nous unissent toujours.<\/p>\n
J\u2019ai la chance aujourd\u2019hui de travailler dans un milieu o\u00f9 le bilinguisme est une valeur enracin\u00e9e dans les pratiques et dans le quotidien. La plupart de mes coll\u00e8gues sont bilingues ou se sont simplement habitu\u00e9s \u00e0 entendre les deux langues dans leur environnement. Il n\u2019est pas rare d\u2019entendre dans la salle du personnel ou dans les corridors les deux langues qui s\u2019entrem\u00ealent, des rires \u00e0 une blague dite dans une langue ou dans l\u2019autre et, in\u00e9vitablement, quelqu\u2019un qui ne l\u2019a pas comprise et \u00e0 qui on l\u2019explique. Il m\u2019arrive souvent de penser que ce serait nice<\/span><\/em> si mon milieu de travail \u00e9tait le reflet de notre beau pays bilingue. Malheureusement, nous n\u2019en sommes pas encore l\u00e0.<\/p>\n Qui n\u2019a pas d\u00e9j\u00e0 v\u00e9cu l\u2019exp\u00e9rience, comme anglophone ou francophone, de se retrouver dans un contexte domin\u00e9 par des parlants fran\u00e7ais, mais o\u00f9 on parle anglais? Pourquoi? Un m\u00e9lange de respect, de crainte d\u2019offenser ou de commodit\u00e9. Pourquoi s\u2019en faire puisque les francophones sont tous bilingues, n\u2019est-ce pas? Or, il existe un tas de francophones qui, comme moi, peuvent s\u2019exprimer assez bien dans les deux langues, mais qui continuent de penser en fran\u00e7ais et qui expriment beaucoup plus clairement leurs id\u00e9es dans leur langue maternelle. (Amis anglos, vous ne savez pas ce que vous manquez!) Il en va de m\u00eame, bien entendu, pour la majorit\u00e9 des anglophones qui ont appris le fran\u00e7ais.<\/p>\n Je suis pourtant plus optimiste que jamais. Plus de 80 % des Canadiens et Canadiennes reconnaissent le bilinguisme comme une valeur nationale. Davantage encore souhaitent que leur enfant apprenne la langue seconde et cette proportion s\u2019accroit chez les plus jeunes g\u00e9n\u00e9rations, signe tangible d\u2019un changement positif au sein de la population[1<\/a>]<\/sup>.<\/p>\n On sait cependant que peu de Canadiens et Canadiennes sont bilingues : \u00e0 peine la moiti\u00e9 des francophones; un maigre 10 % chez les anglophones. La raison invoqu\u00e9e par plus de la moiti\u00e9 est le manque d\u2019occasions d\u2019apprendre l\u2019autre langue[2<\/a>]<\/sup>. Or, l\u2019assimilation inqui\u00e8te \u00e0 juste titre les francophones qui voient leur nombre d\u00e9croitre de recensement en recensement. Voyez-vous le paradoxe? Les uns veulent des occasions d\u2019apprendre alors que les autres veulent simplement des occasions de parler leur langue maternelle. L\u2019apprentissage des uns ne ferait-il pas le bonheur des autres?<\/p>\n Il y a d\u00e9j\u00e0 quelques ann\u00e9es, Rodrigue Landry, chercheur que j\u2019estime beaucoup, r\u00e9alisait une \u00e9tude sur \u00ab le potentiel cach\u00e9 de l\u2019exogamie \u00bb[3<\/a>]<\/sup>. Cette \u00e9tude jetait un regard neuf sur le couple exogame, se composant jusqu\u2019alors d\u2019un pauvre conjoint francophone et d\u2019un terrible conjoint anglophone assimilateur. Tout \u00e0 coup, cette \u00e9tude pr\u00e9sentait sous un angle g\u00e9nial le couple exogame comme la panac\u00e9e au fl\u00e9au affligeant les francophones. Il fallait y penser math\u00e9matiquement : un homme francophone A \u00e9pouse une femme francophone B et ils ont UN enfant francophone. Mais si ce m\u00eame homme francophone A \u00e9pouse une femme anglophone C et que cette m\u00eame femme francophone B \u00e9pouse un homme anglophone D, le couple du d\u00e9but \u2013 en ayant d\u00e9fi\u00e9 l\u2019avis de la grand-m\u00e8re et du cur\u00e9 \u2013, a le potentiel de mettre au monde DEUX enfants francophones si, bien entendu, nos tourtereaux sont assez fut\u00e9s pour \u00e9lever leur marmaille en fran\u00e7ais. C\u2019est la multiplication des pains fran\u00e7ais, rien de moins.<\/p>\n Ce n\u2019est \u00e9videmment pas aussi simple. Encore faut-il que nos deux tourtereaux francophones qui s\u2019unissent \u00e0 des anglophones soient bien pr\u00e9par\u00e9s au d\u00e9fi qui les attend. Si \u00e9lever les enfants en fran\u00e7ais dans un couple exogame \u00e9tait chose facile, je ne serais pas en train d\u2019\u00e9crire ce billet. C\u2019est l\u00e0 que j\u2019ajoute mon grain de sel p\u00e9dagogique.<\/p>\n Du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019\u00e9cole de langue fran\u00e7aise, on se doit d\u2019aborder cette question de l\u2019exogamie d\u2019une fa\u00e7on coh\u00e9rente et strat\u00e9gique. Les adolescents et adolescentes de nos \u00e9coles sont les parents de demain et nous manquons incroyablement le bateau si nous ne les sensibilisons pas \u00e0 cette r\u00e9alit\u00e9. Si nous ne pr\u00e9parons pas nos jeunes \u00e0 devenir des parents engag\u00e9s dans la francophonie, nous serons encore en train de former des comit\u00e9s pour \u00e9laborer des strat\u00e9gies de recrutement de leurs enfants dans mille ans (si nous nous rendons jusque-l\u00e0).<\/p>\n Je pousse le r\u00eave encore d\u2019un cran : pendant que l\u2019\u00e9cole de langue fran\u00e7aise pr\u00e9pare bien ses \u00e9l\u00e8ves \u00e0 leur r\u00f4le de parent engag\u00e9, ne serait-il par formidable que l\u2019\u00e9cole d\u2019immersion, quant \u00e0 elle, pr\u00e9pare ses \u00e9l\u00e8ves \u00e0 devenir de parfaits petits partenaires anglophones des couples exogames? Imaginez d\u2019heureux couples qui s\u2019engageraient \u00e0 procr\u00e9er en fran\u00e7ais comme si c\u2019\u00e9tait la chose la plus normale du monde. Imaginez de jeunes adultes anglophones qui ont \u00e9t\u00e9 sensibilis\u00e9s aux d\u00e9fis de la communaut\u00e9 francophone et qui comprennent tout \u00e0 fait l\u2019importance d\u2019\u00e9lever leurs enfants dans un environnement francophone, sans se sentir menac\u00e9s. Bref, les \u00e9l\u00e8ves bilingues des \u00e9coles d\u2019immersion sont des conjoints parfaits pour les francophones, dans la mesure o\u00f9 de part et d\u2019autre on a compris les enjeux.<\/p>\n * * *<\/p>\n Je faisais la file au cin\u00e9ma derni\u00e8rement et je parlais fran\u00e7ais avec la personne qui m\u2019accompagnait. Derri\u00e8re nous, une bande de jeunes bruyants aux cheveux multicolores se bousculaient et riaient de tout et de rien. L\u2019un d\u2019eux, nez, oreilles et sourcils perfor\u00e9s au point qu\u2019on peut se demander si sa t\u00eate est encore imperm\u00e9able \u00e0 l\u2019eau, s\u2019approche de nous et nous dit dans un fort accent anglais : \u00ab Hey! Bonsoir, je parle fran\u00e7ais aussi. \u00bb Je lui dis que j\u2019en suis bien heureux et il m\u2019apprend qu\u2019il a fait l\u2019\u00e9cole d\u2019immersion de son quartier et qu\u2019il est toujours content de s\u2019exercer. Une de ses amies aux cheveux bleu \u00e9tincelant s\u2019\u00e9tonne et s\u2019int\u00e9resse tout \u00e0 coup vivement \u00e0 lui. Leur discussion se poursuit en anglais, et je comprends vite que s\u2019il a voulu nous parler, c\u2019\u00e9tait surtout pour \u00e9pater la galerie!<\/p>\n Un jour, vous vous retrouverez peut-\u00eatre dans une r\u00e9union o\u00f9 l\u2019un des participants sera perfor\u00e9 de partout. Saluez-le pour moi et, de gr\u00e2ce, ne vous mettez pas \u00e0 parler anglais pour lui faire plaisir. Non seulement il parle fran\u00e7ais, mais il est fier de pouvoir le faire!<\/p>\n <\/p>\n Le pr\u00e9sent [1<\/a>]<\/sup> CONSEIL CANADIEN SUR L\u2019APPRENTISSAGE. L\u2019enseignement en immersion au Canada<\/em>, [En ligne], 1997. [www.ccl-cca.ca\/pdfs\/LessonsInLearning\/2007\/25-05_17_07REV-Jan23-F.pdf] (Consult\u00e9 le 20 avril 2011). Qui n\u2019a pas
\narticle a paru initialement dans la revue Journal de l\u2019immersion\/Immersion
\nJournal<\/em>, vol.33, no<\/sup> 2, \u00e9t\u00e9 2011, et est reproduit ici avec la
\npermission de l\u2019Association canadienne des professeurs d\u2019immersion, tel qu\u2019il a
\n\u00e9t\u00e9 adapt\u00e9 par l\u2019auteur.<\/p>\n
\n
\n[2<\/a>]<\/sup> Id.<\/em>
\n[3<\/a>]<\/sup> LANDRY, R. Lib\u00e9rer le potentiel cach\u00e9 de l\u2019exogamie<\/em>, Commission nationale des parents francophones, [En ligne], 2003. [http:\/\/cnpf.ca\/index.cfm?Repertoire_No=-1007459830&Voir=publi&Sequence_No=40404&Id=40404&niveau=2] (Consult\u00e9 le 20 avril 2011).<\/p>\n<\/div>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
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