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La santé mentale des éducateurs et éducatrices au-delà des ressources : nous devons améliorer la culture de notre milieu de travail 

| Éducation publique, Profession enseignante, Ressources financières et autres

Tandis que nous rédigeons cet article (en janvier 2022), dans tout le Canada, les membres du corps enseignant et les autres travailleurs et travailleuses de l’éducation sont retournés à l’enseignement en mode urgence — à distance et en ligne — ou enseignent en présentiel mais sous la menace de changements qui pourraient survenir du jour au lendemain. Après deux ans d’une pandémie mondiale qui nous a fait vivre toutes sortes de bouleversements, de changements de mandats et de frustrations, nous restons collectivement aux prises avec une crise de santé publique. Si nous voulons comprendre l’état de santé mentale et de bien-être du personnel de l’éducation, nous ne pouvons passer sous silence ce tourbillon des deux dernières années.

Depuis le printemps de 2020, notre étude de la santé mentale du personnel enseignant et des autres travailleurs et travailleuses de l’éducation s’est concentrée sur les conséquences de la pandémie pour la charge de travail, les modalités pédagogiques et la perception de la profession enseignante, et donc ses effets sur les enseignantes et enseignants. Dans le cadre de ce travail, l’équipe de la Recherche et de l’Apprentissage professionnel de la CTF/FCE a réalisé 32 entrevues avec des membres du corps enseignant dans l’espoir de se faire une meilleure idée de leur expérience de l’enseignement pendant l’année scolaire 2020-2021. Leurs commentaires et récits dont découle notre rapport « Mais à quel prix? » Santé mentale du personnel enseignant pendant la pandémie de COVID-19 révèlent que l’état de santé mentale et de bien-être du personnel enseignant est allé en empirant sans que rien ne soit fait de vraiment significatif pour l’aider. Certes, on a mis des ressources à sa disposition, en l’encourageant à prendre soin de lui-même, mais ces mesures ne pèsent pas lourd en comparaison des problèmes systémiques sous-jacents qui entretiennent la crise de la santé mentale dans l’éducation publique. 

Les récits et commentaires des participantes et participants aux entrevues ont aussi mis en lumière l’absurdité des conseils les invitant à prendre soin d’eux-mêmes. D’un côté, ils veulent disposer de plus de temps pour prendre soin de leur bien-être mental, physique et émotionnel, de l’autre, il est souvent impossible pour eux d’y parvenir en raison de la charge de travail quotidienne, à laquelle s’ajoutent les facteurs de stress attribuables à la surcharge occasionnée par l’enseignement en ligne, les changements continuels et l’exposition prolongée à des facteurs de stress intenses (et maintenant chroniques). Pour ces personnes, se réserver du temps de détente équivaut, dans les circonstances, à s’imposer une tâche supplémentaire malvenue. Et pour les quelques personnes qui réussissaient à se réserver du temps, cela consistait le plus souvent en quelques heures passées en famille un samedi ou un dimanche matin, alors que l’après-midi servait à la préparation des leçons et aux évaluations.

Disons qu’au lieu d’avoir à intégrer le travail à leur vie, les enseignantes et enseignants ont dû se contenter du peu de temps qu’il leur restait en dehors du travail pour prendre soin de leur bien-être. Non seulement les enseignantes et enseignants n’ont guère de temps et d’énergie à la fin de la journée pour s’occuper des choses de base comme de préparer à manger et prendre soin de leur famille et autres proches, mais la simple idée de devoir trouver du temps pour veiller à leur propre santé mentale avait pour effet de les confronter à leur charge de travail excessive et au stress de la pandémie, et paradoxalement d’accroître leur anxiété. Malgré les messages de plus en plus fréquents qui leur rappelaient l’importance de prendre soin d’eux et les ressources mises à leur disposition, les enseignantes et enseignants ont le sentiment que la santé mentale est une affaire personnelle qui repose entièrement sur eux et pour laquelle il n’y a pas de dispositifs de soutien structurels qui aident à alléger leur stress et leur anxiété. Dans ce contexte, la nécessité de prendre soin de soi-même devient une obligation supplémentaire à laquelle de nombreux membres du personnel enseignant n’arrivent pas à satisfaire, ce qui renforce leur sentiment d’impuissance, d’échec, de culpabilité et de honte. 

Pour la plupart des personnes rencontrées en entrevue, leurs efforts pour essayer de conserver un sentiment minimal de bien-être dans les circonstances sont voués à l’échec à plus ou moins long terme. L’un des nombreux facteurs qui concourent à cet état de chose est la culture du milieu de travail. Une lame de fond est passée qui a teinté les expériences du personnel enseignant. C’est de cette façon que la culture du milieu de travail dans le monde de l’éducation publique financée par l’État a contribué à la détérioration de la santé mentale et du bien-être du personnel.

Les membres du corps enseignant et les autres travailleurs et travailleuses de l’éducation nous ont dit que, trop souvent, d’un océan à l’autre, la culture du milieu de travail veut que le personnel enseignant travaille tous les soirs et toutes les fins de semaine ou presque, soit à la disposition des élèves et des parents en tout temps durant la journée sur les plateformes en ligne et pour répondre aux courriels, se sente personnellement responsable de la bonne marche du système même au détriment de sa santé, et porte en lui un lourd sentiment d’échec quand il ne parvient pas à respecter ces « normes » irréalistes. Bien que ces personnes ne soient pas obligées, par leur contrat, à le faire, elles continuent de se pousser au-delà de leur capacité parce que les heures qui leur sont payées ne suffisent pas à couvrir tout le travail nécessaire et parce qu’elles ont à cœur le succès de leurs élèves. Cette culture est encouragée par des normes et des attentes officieuses, qui sous-tendent les relations complexes avec les collègues enseignantes et enseignants, les parents et les tuteurs ou tutrices, l’administration, les conseils ou commissions scolaires, les ministères de l’Éducation et le public. Dans certains cas, l’inertie des institutions a fait que le corps enseignant est resté prisonnier d’une attente sexiste que la société entretient depuis toujours : le don de soi au travail. Cette attente entraîne un déséquilibre entre la vie personnelle et le travail que la pandémie a exacerbé. Le voile s’est levé sur cette culture nocive du milieu de travail en éducation.

Dorénavant, nous devrons garder à l’esprit que toutes les couches du système interviennent dans le bien-être général du personnel enseignant et des autres travailleurs et travailleuses de l’éducation, et donc dans celui des élèves. Cela veut dire qu’il ne suffit pas d’encourager une attitude positive, les discours valorisant l’héroïsme et les formations d’une journée pour prendre soin de la santé mentale et du bien-être. Pour assainir cette culture, il faut travailler les relations avec les multiples couches d’intervenants, arriver à une compréhension nuancée de la réalité quotidienne du personnel enseignant et mieux cerner le climat complexe et souvent très chargé émotionnellement dans lequel ces personnes évoluent. Il nous faut faire pression pour amener des changements systémiques durables pour le bien de la profession. 

Lisez « Mais à quel prix? » Santé mentale du personnel enseignant pendant la pandémie de COVID-19 pour vous faire une meilleure idée des défis professionnels et personnels que doivent surmonter le personnel enseignant et les autres travailleurs et travailleuses de l’éducation en cette période de pandémie et mieux comprendre pourquoi les systèmes canadiens d’éducation publique financés par l’État sont au bord de l’effondrement.

Pour assainir la culture du milieu de travail dans l’éducation publique, nous devons avoir une « conversation nationale ». C’est pourquoi la CTF/FCE demande au gouvernement fédéral de créer un groupe consultatif national sur l’éducation qui aura pour mission de renforcer l’éducation publique financée par l’État au Canada. Pour savoir comment vous pouvez encourager votre gouvernement provincial ou territorial à agir en ce sens, visitez https://www.voteeducation.ca/fr/.


Nichole GrantRecherchiste et analyste des politiques, Programme de recherche et d’apprentissage professionnel CTF/FCE
Pamela RogersDirectrice, Programme de recherche et d’apprentissage professionnel CTF/FCE
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