La solution aux promesses rompues
En tant que société, on se demande bien trop souvent : « Comment en est-on arrivé là? ».
En tant que société, on se demande bien trop souvent : « Comment en est-on arrivé là? ». C’est notamment le cas pour un élément qui est au cœur du travail de la CTF/FCE et qui requiert toute notre attention.
Les budgets de l’éducation ont tellement diminué que nous risquons aujourd’hui de rompre la promesse faite aux enfants du Canada. Comment a-t-on pu laisser les choses en arriver là?
Il ne s’agit pas là d’une opinion, mais bien d’un constat : il suffit de considérer le paysage de l’éducation publique au Canada pour voir que le problème est généralisé. Le nombre de nouvelles recrues est en baisse alors que celui des enseignantes et enseignants qui quittent la profession est en constante progression, et les départs surviennent de plus en plus tôt dans leur parcours. Les personnes qui choisissent de rester le font au détriment de leur santé physique et mentale. Les effets conjugués de ces trois facteurs ont atteint un seuil critique qu’on ne peut plus ignorer. Mais ce n’est là que le symptôme visible d’un système qui est depuis bien trop longtemps négligé. Former, certifier et embaucher plus d’enseignantes et enseignants est absolument nécessaire, mais ça ne résoudra pas tout le problème.
La solution consiste à financer adéquatement les systèmes d’éducation afin qu’ils disposent des ressources humaines et matérielles nécessaires pour aider les enfants à atteindre leur plein potentiel et à devenir des membres actifs et épanouis de nos communautés.
Voilà. C’est somme toute assez simple. Bien sûr, il y aura des discussions et des débats dans le milieu de l’éducation sur la meilleure façon d’y parvenir. Il est sain d’avoir des échanges professionnels et c’est même nécessaire pour améliorer le sort de nos élèves. Mais il est indispensable que l’éducation publique soit correctement financée, sans quoi ces échanges — ce à quoi on assiste en ce moment même dans presque tout le pays — se réduisent à trouver comment s’occuper d’un trop grand nombre d’enfants avec si peu de moyens. Résultat, il y aurait immanquablement des gagnants et des perdants, ce qui est tout à fait inacceptable.
Donc oui, posons la question : comment en est-on arrivé là? J’ai le privilège depuis maintenant une douzaine d’années de m’entretenir avec des enseignantes et enseignants et d’être un porte-parole de l’éducation d’abord à l’échelle locale, puis nationale. Après toutes ces années passées à écouter les membres du corps enseignant et à militer et exercer des pressions en leur nom sur des politiques de tout acabit, j’ai abouti à une théorie : l’une des principales raisons pour lesquelles le manque de financement a pu donner lieu à la crise que l’on connaît actuellement est, sans surprise, d’ordre politique.
L’éducation est sans conteste le socle sur lequel s’érigent aussi bien l’individu que la société dans son ensemble. Chacun de nous consacre environ 13 années de sa vie à naviguer dans le système éducatif de la maternelle à la 12e année. Ce n’est pas rien. Mais instruire un enfant, l’aider à s’épanouir mentalement, socialement, personnellement, physiquement, etc., prend du temps, et le résultat obtenu n’est pas immédiatement tangible : c’est l’effet cumulatif résultant d’un effort collectif soutenu à long terme. Et c’est là qu’est le nœud du problème : les décisionnaires qui doivent statuer sur le financement de l’éducation ne sont en poste que pour trois ou quatre ans, selon le contexte.
Dans la plupart des cas, ces personnes veulent que leurs décisions aient des effets immédiats, c’est la nature du système politique que l’on a créé. On ne manque pas d’études qui démontrent le rendement financier appréciable qu’une société ou un gouvernement peut obtenir en investissant dans l’éducation, mais ces retombées ne sont visibles dans la plupart des cas qu’au bout d’une dizaine d’années ou plus.
Cela va directement à l’encontre de la logique des personnes au pouvoir et de leur parti qui cherchent à avoir des résultats qui leur permettront de s’attirer des votes dans un an ou deux. C’est la raison pour laquelle l’éducation est souvent laissée pour compte dans la planification du budget : il est trop facile de resserrer les cordons de la bourse et de ne pas avoir à en assumer les conséquences, et il est difficile de faire ce qu’il faut et d’éviter que les investissements ne soient remis à plus tard. C’est, à mon avis, ce qui explique en grande partie que nous soyons arrivés là où nous en sommes.
Comment s’en sortir et rattraper le retard accumulé? En faisant preuve de volonté politique. Nous devons pousser les décisionnaires provinciaux et territoriaux à sortir de l’ornière des élections. Nous devons leur faire comprendre que l’avenir de chaque enfant — déjà scolarisé ou non — est façonné par les 13 années qui, comme nous l’avons promis en tant que nation, mèneront à la possibilité d’une vie meilleure. Nous devons enfin les amener à voir que derrière chaque dollar qui n’est pas investi aujourd’hui, il y a un enfant spolié, un enfant sous-valorisé. C’est cette conviction qui nous motive, moi et toutes les personnes qui travaillent à la CTF/FCE, dans notre travail jour après jour. Je sais que vous avez aussi à cœur d’améliorer le quotidien des élèves, et vous méritez qu’on vous soutienne pleinement en ce sens, car, pour reprendre les mots de Gabriela Mistral :
« Bien des choses peuvent attendre. Mais pas les enfants. C’est aujourd’hui que leurs os se forment, que leur sang se fabrique et que leurs sens se développent. À eux, on ne peut pas dire : “demain”. Leur nom est aujourd’hui. » [traduction libre]