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Les tendances mondiales et leurs répercussions sur le travail que nous accomplissons en faveur d’une éducation gratuite, équitable, inclusive et de qualité

| Droits de la personne, Environnement, Privatisation

Permettez-moi d’abord de dire que le contexte mondial actuel laisse beaucoup à désirer, et c’est peu dire.

INÉGALITÉ

Vous connaissez sûrement les statistiques concernant l’inégalité croissante des revenus et la concentration de la richesse. Huit hommes détiennent à eux seuls autant de richesse que les 3,6 milliards de personnes qui composent la moitié la plus pauvre de l’humanité. Oui, j’ai bien dit « hommes ».

Les grandes entreprises et les très riches alimentent la crise des inégalités en éludant l’impôt, en tirant les salaires vers le bas et en utilisant leur pouvoir pour influencer la politique.

Regardez le Cabinet des milliardaires de votre voisin du Sud. La secrétaire à l’Éducation publique, qui n’a jamais mis les pieds dans une école publique, admet ouvertement avoir acheté son poste. Pendant ce temps, le Cabinet et ses amis congressistes font tout pour retirer l’assurance maladie aux personnes les plus pauvres afin de réduire l’impôt des plus riches.

Appelons les choses par leur nom : ce que le Cabinet offre, c’est une assurance richesse.

CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Les pollueurs et les personnes qui nient les changements climatiques dans ce même pays — quelque part au sud de la plus longue frontière continue du monde, qui s’étend sur 8 893 kilomètres — prennent des décisions dont les graves répercussions ne s’arrêteront pas aux limites nationales ou terrestres. Prenons par exemple la prolifération de programmes d’études prônant des « faits alternatifs » et, du même coup, la diffusion de guides pédagogiques sur le charbon propre envoyés aux écoles grâce à l’afflux d’argent noir en provenance de groupes de pression de l’industrie des énergies non renouvelables.

Une chose est claire : il n’a jamais été aussi important de défendre le droit du personnel enseignant d’exercer son jugement et son autonomie professionnels et de remettre les choses en question en toute liberté. À l’Internationale de l’Éducation (IE), nous contribuons au volet Éducation au développement durable de la COP21 et de la COP22, et collaborons avec l’UNESCO pour nous assurer que des documents préparés par et pour le personnel enseignant, et validés scientifiquement, sont largement accessibles.

COMMERCE

Les gouvernements négocient des accords commerciaux de grande portée qui feront place à la déréglementation et créeront des tribunaux privés, chargés de régler des conflits internationaux dans les coulisses, où les services publics et le bien public seront à la merci des possibilités de revenu et des exigences des actionnaires. À la Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce l’hiver prochain, nous rendrons public un guide des accords commerciaux du point de vue des syndicalistes enseignants. Nous renforcerons également nos alliances avec d’autres fédérations syndicales mondiales et des organisations de la société civile pour mettre en lumière les processus antidémocratiques et faire pression pour que l’éducation publique soit exclue de ces accords commerciaux.

DÉMOCRATIE ET DROITS DE LA PERSONNE

Les institutions et les systèmes démocratiques sont affaiblis par l’effet conjugué d’hommes ethnonationalistes influents et d’oligarques kleptocrates qui font des migrants des boucs émissaires tout en alimentant la xénophobie et la peur.

Les institutions et les systèmes démocratiques sont affaiblis par l’effet conjugué d’hommes ethnonationalistes influents et d’oligarques kleptocrates qui font des migrants des boucs émissaires tout en alimentant la xénophobie et la peur. De la Turquie aux États-Unis en passant par la Pologne et les Philippines, nos membres résistent. Et ils se lèvent et se soulèvent.

Notre travail d’éducation des personnes réfugiées et d’aide aux enseignantes et enseignants réfugiés appuie les communautés d’accueil qui partagent des ressources et facilitent la collaboration entre les syndicats de l’enseignement, les groupes de parents, les associations étudiantes et les groupes de défense des droits de la personne. Notre portail Enseignants engagés pour les droits des migrants et des réfugiés réunit en un seul endroit un grand nombre d’études sur le sujet et d’histoires de réussite. Ici, au Canada, vous avez comblé le vide créé par votre voisin du Sud et vous continuez de montrer ce qu’un pays d’immigration peut et doit faire face aux crises humanitaires.

PRIVATISATION

Les adeptes de la privatisation et les entreprises commerciales éducatives tentent de créer une crise de confiance à l’égard de l’éducation publique pour ensuite exploiter une telle crise afin de créer les conditions propices à de nouveaux marchés de l’éducation déréglementés. Ces conditions vont du transfert massif de la gestion des écoles vers des entreprises privées, comme c’est le cas au Libéria, aux États-Unis, au Chili et en Suède, aux aspects trop connus de l’externalisation de l’éducation publique tels que le choix de l’école (quand l’école choisit), les bons d’études et les principaux indicateurs de rendement du capital investi. Notre campagne vedette « Uni(e)s pour l’éducation » a pour but d’attaquer de front ces entreprises, de rappeler à l’ordre les gouvernements qui font leurs quatre volontés, de soutenir les campagnes nationales que mènent les organisations membres de l’IE pour dénoncer ces entreprises et d’empêcher ces dernières d’apposer des codes barres sur la tête des élèves.

DÉPROFESSIONNALISATION

La dévalorisation et l’affaiblissement de notre profession s’inscrivent dans une tendance qui s’observe tant dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) que dans les pays du Partenariat mondial pour l’éducation. Le roulement élevé du personnel enseignant est maintenant une caractéristique commune des pays qui adhèrent au Mouvement mondial de réforme de l’éducation ou GERM [acronyme anglais de Global Education Reform Movement]. À l’heure actuelle, chez votre voisin du Sud, les enseignantes et enseignants tiennent un an et au Royaume-Uni et en Suède, le milieu de l’éducation est aux prises avec de graves pénuries de personnel enseignant. Des forces conservatrices et opposées à l’éducation publique se servent de l’image négative de l’enseignant « syndiqué paresseux » pour promouvoir des politiques de responsabilisation du personnel enseignant, comme l’évaluation ou la modélisation à valeur ajoutée (nous avons sur la page Recherche de notre site Web un livre blanc dans lequel sont rassemblées les études qui rejettent ce genre d’évaluation, soit dit en passant) [en anglais], et mettent en doute le professionnalisme du personnel enseignant dans le but de réduire sa pratique pédagogique, ses diagnostics développementaux et sa connaissance approfondie de la matière enseignée à la simple transmission de contenu.

Je n’ai pas besoin de m’étendre ici sur la complexité de l’acte d’enseigner ni sur l’importance de bien connaître les élèves. Combien d’élèves arrivent à l’école sans avoir pris de petit déjeuner, sans les lunettes dont ils auraient parfois tant besoin ou alors qu’ils viennent de perdre un être cher? Et combien sont victimes d’intimidation ou de violence? Ce sont là nos réalités.

Dans le dernier mémoire que nous avons soumis au CEART, le comité d’experts qui surveille l’application des recommandations de l’OIT-UNESCO sur la condition de la profession enseignante (des recommandations dont la première série date d’il y a 50 ans), nous parlons des résultats d’un sondage mené auprès de nos membres qui révèlent une tendance lourde et préoccupante. Il semble en effet que des pays abaissent les normes d’entrée dans la profession enseignante, assouplissent, voire éliminent les qualifications nécessaires à l’emploi et réduisent la voix de la profession dans l’établissement des normes qui la gouvernent.

Beaucoup de gens connaissent Enseigner pour le Canada, mais peu ont entendu parler de Teach for All, l’organisation qui encadre plus d’une trentaine d’organisations partenaires. Appuyée par des entreprises du palmarès Fortune 500 et la Banque mondiale, cette organisation cherche à supprimer systématiquement la réglementation et les normes qui régissent l’enseignement pour permettre à des bénévoles sélectionnés d’obtenir du perfectionnement professionnel sur le dos d’enfants pauvres.

Beaucoup de gens connaissent Enseigner pour le Canada, mais peu ont entendu parler de Teach for All, l’organisation qui encadre plus d’une trentaine d’organisations partenaires. Appuyée par des entreprises du palmarès Fortune 500 et la Banque mondiale, cette organisation cherche à supprimer systématiquement la réglementation et les normes qui régissent l’enseignement pour permettre à des bénévoles sélectionnés d’obtenir du perfectionnement professionnel sur le dos d’enfants pauvres. Il aurait été plus juste de l’appeler Teach for Myself (enseigner pour moi-même), comme l’admet volontiers son fondateur. C’est un modèle plus cher et moins durable. Il ne prétend plus s’attaquer à la pénurie d’enseignantes et enseignants. Il a plutôt pour but de donner à de futurs banquiers et avocats un peu d’expérience de la philanthropie avant d’entreprendre une carrière plus lucrative.

L’IE prend des mesures pour contrer cette tendance. Non seulement nous avons réussi à faire inclure la qualification et les titres de compétence parmi les priorités des Objectifs de développement durable, du Plan stratégique du Partenariat mondial pour l’éducation et du Cadre d’action Éducation 2030, mais nous avons également tenu une conférence sur les questions professionnelles à Rotterdam en mai 2017. Cette conférence avait pour but de réunir tout l’excellent travail que font les syndicats pour guider la profession et de nous amener à nous pencher sur les principes et les lignes directrices que nous pourrions adopter à l’échelle mondiale pour nous assurer que notre profession conserve la maîtrise des éléments fondamentaux qui la définissent.

Si nous voulons dire que la formation pédagogique, la qualification, les pratiques, le perfectionnement professionnel, la collaboration et les conditions d’enseignement sont importants, il va de soi que nous n’irons pas aider les personnes qui souhaiteraient nous remplacer par des machines de livraison de contenu dans des classes inversées ou nous contrôler à distance par des programmes standardisés et automatisés. Nous savons que vous comprenez tout cela et nous sommes reconnaissants à la FCE et à l’Alberta Teachers’ Association du travail qu’elles ont réalisé à l’égard du projet We the Educators/Nous, Éducateurs et Éducatrices lancé à Rotterdam.

CONNAISSANCE

Du côté des sciences et de la production de savoir, nous assistons à la prolifération du système « à triple paiement », où l’État finance la majorité de la recherche, paie généralement les salaires des personnes chargées de vérifier la qualité de celle-ci et ensuite achète la majeure partie du produit publié.

On peut se demander qui bénéficie d’un tel arrangement. Peut-être le géant de l’édition Elsevier qui enregistre chaque année six milliards de dollars en revenus? Les recherchistes et les universitaires deviennent les esclaves des maisons d’édition. Quelle autre industrie reçoit sa matière première de ses clients, obtient des mêmes clients qu’ils fassent le contrôle de la qualité des produits et vend ensuite les mêmes produits aux clients à un prix exagérément gonflé?

Quand vous contrôlez un quart du marché, exploitez les universitaires et poursuivez tous ceux et celles qui tentent de rendre le savoir largement accessible, l’IE s’en aperçoit.

Gardons l’œil ouvert!

DÉVELOPPEMENT

Grâce à votre participation à la campagne « Uni(e)s pour l’éducation », les éducatrices et éducateurs du monde se sont regroupés pour atteindre l’objectif indépendant qui vise, pour le monde entier, une éducation de qualité, inclusive et gratuite, un des 17 Objectifs de développement durable.

De par ses actions au fil des ans, la FCE a aussi montré qu’elle a vraiment à cœur d’assurer l’accès à une éducation publique de qualité pour tous les élèves, aux quatre coins de la planète. Donc pas seulement pour les élèves du Canada, qui sont d’ailleurs très chanceux d’avoir la FCE et ses organisations Membres pour veiller à leurs intérêts. Grâce à votre participation à la campagne « Uni(e)s pour l’éducation », les éducatrices et éducateurs du monde se sont regroupés pour atteindre l’objectif indépendant qui vise, pour le monde entier, une éducation de qualité, inclusive et gratuite, un des 17 Objectifs de développement durable. Nous nous sommes battus contre l’idée d’une éducation « abordable » et avons persisté pour préserver le principe de la gratuité. Nous avons réaffirmé la nécessité absolue d’avoir des enseignantes et enseignants qualifiés, formés et bien soutenus pour atteindre ce qui est devenu un objectif vaste et audacieux. La vice-secrétaire générale des Nations Unies, Amina Mohammed (qui nous a aussi aidés à mener jusqu’au bout notre campagne « Uni(e)s pour l’éducation  »), a dit lors d’une rencontre des Nations Unies de haut niveau que l’éducation était « la station d’accueil de tous les autres objectifs ». Belle image, mais il reste encore beaucoup à faire au seul chapitre de l’éducation. Quelque 263 millions d’enfants ne vont toujours pas à l’école et nous aurons besoin de 69 millions d’enseignantes et enseignants supplémentaires d’ici 2030.

À l’échelle mondiale, le financement de l’éducation a reculé alors que les besoins, eux, continuent d’augmenter. En juin dernier, alors que j’assistais à la réunion du Conseil d’administration du Partenariat mondial pour l’éducation, au Canada, aux côtés de Juliet Wajega, j’ai parlé des préoccupations de l’IE et de son profond souhait que les pays donateurs honorent leurs promesses d’aide, que les pays en développement renforcent la mobilisation de leurs ressources et que les charlatans qui soi-disant vendent des mécanismes de financement novateurs aillent voir ailleurs avec leurs systèmes pyramidaux et leurs combines à la Ponzi. J’ai entendu parler d’un endroit au sud d’ici où ces systèmes n’ont pas si bien fonctionné et du fait que toute la planète en a payé le prix.

LES ORGANISMES-CONSEILS DE LA PLANÈTE

À l’IE et en collaboration avec la FCE, nous consacrons aussi beaucoup de temps à l’élaboration de stratégies en rapport avec une autre plateforme très influente du système mondial, l’OCDE.

Que surveillons-nous?

Avec le Sommet international sur la profession enseignante (en anglais), qui a lieu tous les ans depuis sept ans, et par l’intermédiaire de la Commission syndicale consultative et de tout un éventail de comités et de groupes de travail dont les ministères préfèreraient bien souvent que nous soyons absents…

Comme ça, sans réfléchir, je peux dire que nous surveillons : le PISA, le TALIS, le PIAAC [le Programme de l’OCDE pour l’évaluation internationale des compétences des adultes ou PEICA], les rapports Regards sur l’éducation, la lente progression du projet Éducation 2030 de l’OCDE, la reprise de l’AHELO [Évaluation internationale des résultats de l’enseignement supérieur], le Sommet sur l’industrie mondiale de l’éducation, le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement, la Stratégie de l’OCDE sur les compétences, la conception du PISA 4, le test PISA pour les écoles, le projet GPS de l’Éducation, le Comité d’aide au développement, le Comité des politiques d’éducation… Les gouvernements clients du monde entier s’appuient sur les conseils et les données que l’OCDE produit. C’est pourquoi nous gardons l’œil ouvert sur ses activités, et en informons nos membres.

L’OCDE et la Banque mondiale sont peut-être les deux institutions les plus influentes dont les travaux et conseils ont une incidence directe sur nos organisations membres. À l’échelle mondiale, les dirigeantes et dirigeants des syndicats de l’enseignement doivent comprendre comment ces institutions fonctionnent pour mieux organiser la résistance face aux conseils économiques et stratégiques les plus destructeurs, qu’ils concernent la rémunération et les conditions de travail, le testage et l’évaluation, la flexibilité, l’automatisation ou la privatisation. L’an dernier, nous avons publié une étude intitulée Le double langage de la Banque mondiale à propos des enseignant(e)s (PDF). Elle est accessible dans la section des ressources de notre site Web.

Le président de la Banque mondiale, Jim Kim, est un défenseur des écoles privées à but lucratif dans l’hémisphère Sud. À bien des égards, la Banque mondiale est un incubateur de modes passagères et sans intérêt lancées par le marché et d’innovations perturbatrices. Peut-être devrions-nous établir pour elle un régime de rémunération au rendement où les salaires seraient liés à l’inégalité?

Finalement, ce qui compte est la puissance de nos idées, la force de nos idéaux, la persistance de notre volonté, le courage de nos convictions et la rapidité avec laquelle nous pouvons nous organiser et nous mobiliser.

Si nous voulons stopper ces tendances, nous devons agir à la fois sur la scène mondiale et locale.

Cet article est tiré de l’allocution que le secrétaire général adjoint de l’Internationale de l’Éducation, David Edwards, a prononcée le 10 juillet 2017 au Forum canadien sur l’éducation publique de la FCE, à Ottawa.


Les tendances mondiales et leurs répercussions sur le travail que nous accomplissons en faveur d’une éducation gratuite
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