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Toiles de vie

| Éducation autochtone

J’ai deux petites-nièces qui me rendent souvent visite. Je m’assure chaque fois d’avoir sous la main des livres autochtones et du matériel de bricolage à leur proposer. L’été dernier, j’ai acheté des toiles illustrées à peindre. Layna, l’aînée, a pris soin de bien choisir ses couleurs et de peindre à l’intérieur des lignes. De son côté, sa petite sœur Lacey y est allée plus librement en essayant différentes couleurs et en les mélangeant. Comme vous pouvez le constater dans la photo ci-dessous, Lacey a utilisé un méli-mélo de couleurs sans nécessairement rester à l’intérieur des lignes (et pourquoi le devrait-elle?). Cette toile, ou sa création, a été ma source d’inspiration pour concevoir l’atelier que je devais présenter à nos membres sur les problèmes auxquels se heurtent les éducatrices et éducateurs métis, inuits et issus des Premières Nations. Comme il était impossible de raconter tout un pan de l’histoire en 90 minutes, j’ai proposé aux participantes et participants une activité qui leur permettrait de saisir l’essence de ces expériences.


Une toile peinte par Lacey, une des petites-nièces de Rachel

Pour commencer, j’aimerais vous inviter à réfléchir à vos propres expériences. Nous vivons tous et toutes constamment de nouvelles expériences — tantôt positives, tantôt négatives, parfois neutres — par hasard ou par choix. Ces expériences sont liées à des situations ainsi qu’à nos interactions avec les autres, avec la communauté ou avec l’environnement. Certaines de ces interactions sont pour nous très significatives, tandis que d’autres le sont moins. Ce sont nos expériences qui façonnent notre pensée, nos comportements, nos actions, nos réactions, nos façons de nous exprimer, nos attitudes, etc. Nous sommes en constante évolution. Et nous sommes exposés à ces expériences dès notre naissance. Ce que nous vivons ne peut être effacé. Ce qui est arrivé est arrivé. Mais c’est à nous de décider ce que nous faisons de ces expériences, comme c’est à nous également de décider quelle incidence nous voulons avoir, par nos interactions, sur les expériences des autres.

Imaginez maintenant que nous sommes tous et toutes une toile. Sur certaines toiles se trouve déjà un dessin montrant les attentes que les autres ont à notre égard ou les rêves que nous avons pour nous-mêmes (qui nous voulons être ou ce que nous voulons faire un jour). Dès notre naissance, des couleurs s’ajoutent. Si chaque nouvelle expérience, comme celles dont nous avons parlé, avait sa propre couleur, toutes sortes de couleurs différentes s’ajouteraient tous les jours à notre toile. Il y a aussi des peintres qui appliquent des couleurs sur notre toile. Toutes ces couleurs se mélangent et se superposent constamment. Quand une couleur en couvre une autre, est-ce qu’elle la fait disparaître pour autant? Non. Elle est toujours là. Elle est seulement couverte par une autre.


La mère de Rachel en compagnie de trois de ses petites-nièces

Si cette toile colorée est une représentation de notre vie, nous pouvons voir combien nos expériences nous façonnent. Nous pouvons aussi voir combien de peintres nous ont marqués. Qui sont les principaux peintres de notre toile? En repensant aux expériences que vous avez vécues, demandez-vous quelles sont les couleurs dominantes et ce qu’elles représentent. Pendant l’atelier, j’ai invité les membres à écrire les noms des personnes, les expériences ou les phrases qui les ont touchés ou influencés. Ensuite, je leur ai montré une peinture au doigt faite par un enfant et j’ai fait un lien entre la peinture et nos expériences, en leur expliquant comment celles-ci nous façonnent.

Pendant ma présentation, j’ai aussi fait un survol de la Proclamation royale de 1763, du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1982, des articles 25 et 35 de la Charte canadienne des droits et libertés, du Code des droits de la personne de l’Ontario et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007). Ensuite, j’ai présenté aux participantes et participants des images de gros titres de journaux récents qui concernaient les Autochtones au Canada. Les articles couvraient toutes sortes de questions, dont le bien-être des enfants, l’accès à l’eau potable, les conditions de logement et la pauvreté, le racisme dans les services de santé et les services publics, les femmes autochtones disparues et assassinées, les traumatismes, les dépendances, le suicide et la rafle des années 60. J’ai aussi montré le numéro de mars 2017 du magazine Now de Toronto, qui met en évidence les points de vue et les appréhensions des Autochtones à l’égard des célébrations du 150e anniversaire du Canada. J’ai en outre présenté des images de journaux montrant des Autochtones du monde entier en train d’exprimer publiquement leur choix de ne pas se lever pour l’hymne national de leurs pays respectifs, un choix qu’ont également les enfants autochtones dans nos écoles (en tout respect et à juste titre).

Sur une note plus personnelle, j’ai expliqué que je n’avais pas eu le luxe de lire les nouvelles et d’entendre parler des questions qui sont toujours d’actualité pour les peuples autochtones aujourd’hui. Ces questions me touchent, mais elles touchent aussi ma famille, mon peuple, ma communauté et d’autres peuples autochtones, aux quatre coins du Canada, en raison de nos liens collectifs avec nos territoires, de nos droits et de notre relation avec le Canada. Ces questions découlent d’une relation déséquilibrée avec le gouvernement qui ne date pas d’hier et qui se poursuit encore aujourd’hui. Les couches sont nombreuses. Les Autochtones demandent l’équité et la justice. On ne parle pas ici de peindre à l’intérieur des lignes. C’est beaucoup plus que ça.

J’ai groupé les participantes et participants pour qu’ils se concentrent sur l’analogie avec la peinture, sur la manière dont nos expériences nous façonnent, nous et nos valeurs, et sur la façon dont nous contribuons aux expériences des autres. Les couches de couleurs, comme nos expériences, sont nombreuses. Peintres que nous sommes, nous pouvons choisir quelles couleurs et quels motifs ajouter à la toile et à l’expérience de quelqu’un d’autre. En tant que membres d’un syndicat et éducateurs ou éducatrices, nous avons le pouvoir de créer des milieux d’apprentissage et de travail qui incluent les Autochtones. Nous avons le choix d’être des alliés ou alliées et de nous engager à approfondir ces questions et à découvrir ces expériences qui ont une incidence sur les Autochtones. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. Je suis convaincue que nous arriverons à créer un pays plus inclusif en ayant une meilleure compréhension de notre histoire et en peignant un avenir qui laissera une empreinte durable et puissante rappelant le besoin d’équité et de justice pour les Autochtones.


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