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Quand on veut, on peut

| Éducation autochtone

Cassie Hallett ngujunga iliniaqtitsijujunga.

« Je m’appelle Cassie Hallett et je suis enseignante. » Voilà ce que veulent dire ces quelques mots du dialecte inuktitut que j’ai appris en 1992 quand, alors enseignante en début de carrière, je me suis installée dans la belle communauté de Baker Lake (ou Qamanitu’aq), la seule communauté du vaste territoire du Nunavut1 (qui veut dire « notre terre » en inuktitut) située à l’intérieur des terres.

Je dois remercier bien des gens pour les enseignements qui ont fait de moi l’enseignante que je suis devenue et que je suis fière d’être. Le présent message est, en partie, une lettre de remerciement adressée à de nombreux élèves et membres des communautés de Baker Lake et d’Arviat (Nunavut), où j’ai vécu et travaillé dans le domaine de l’éducation de 1992 à 2003.

On ne peut pas raisonnablement dire qu’un séjour de 11 ans soit long dans des communautés où bon nombre d’Inuits et Inuites passent toute leur vie à apprendre de la génération précédente et à éduquer la suivante. Pourtant, dans les communautés qui possèdent à la fois une population autochtone forte et stable, et une population de passage (les « autres » ou « gens du Sud », comme on appelle dans le Nord les nombreux migrants et migrantes des provinces canadiennes), un séjour de 11 ans est considéré comme long pour quelqu’un du Sud comme moi. Il semble que 11 ans aient été suffisamment longs pour me donner droit au double statut de « personne du coin et étrangère » généralement réservé aux chercheurs et chercheuses qui sont là pour mener des études qualitatives.

Je me souviens encore des précieux enseignements de Michael Mautaritnaaq, mon premier enseignant d’inuktitut, qui, le mardi soir, au centre communautaire, a commencé par me faire chanter le syllabaire (l’alphabet inuktitut) pour ensuite m’apprendre à tenir une conversation de base et à lire. Je n’oublierai jamais non plus la famille Savorksiak, qui m’a adoptée à mon arrivée dans la communauté d’Arviat, m’incluant dans les réunions de famille et m’emmenant avec elle sur le territoire, tandis que d’autres familles « adoptaient » mes collègues, nouvellement arrivés eux aussi. Les écoles où j’ai travaillé et les associations d’enseignantes et enseignants dont j’ai fait partie2 ont grandement facilité mon intégration. Si on ajoute à cela le soutien de mes collègues enseignants inuits et des aînées et aînés, qui apportaient beaucoup à notre école et contribuaient à l’élaboration du programme d’études du point de vue inuit3, on peut dire que les occasions d’approfondir ma compréhension de la culture n’ont pas manqué. Grâce à cet accès soutenu, presque immersif, à la culture et à l’histoire inuites, et à des programmes d’études adaptés aux réalités culturelles, un monde d’apprentissage s’est ouvert à moi et à mes collègues non inuits, faisant de nous des enseignantes et enseignants plus efficaces et, je dirais même, plus heureux.

Aujourd’hui, la FCE rend publics les résultats d’un sondage pancanadien sur l’éducation autochtone. Ces résultats montrent entre autres que peu d’enseignantes et enseignants canadiens bénéficient de possibilités de perfectionnement professionnel enrichissantes sur les cultures des Premières Nations, des Métis et des Inuits. C’est vrai, rares sont les enseignants et enseignantes, surtout dans les communautés et villes plus fortement multiculturelles, qui peuvent vivre une immersion comme j’ai eu la chance de le faire. Mais, comme on dit, quand on veut, on peut.

À l’aube de la Journée nationale des Autochtones, je tiens donc à remercier mes nombreux enseignants et enseignantes inuits — collègues enseignants, élèves, parents, membres de la communauté, aînées et aînés. Je vous dis Ma’na lauvik4! Je joins aussi ma voix à celle de mes collègues de tout le Canada, et même du monde entier, pour demander aux ministères de l’Éducation du pays de travailler avec les partenaires et les membres du personnel enseignant autochtones pour que tous les enseignants et enseignantes bénéficient d’un soutien suffisant et continu afin de mieux comprendre les cultures et les histoires autochtones. C’est un élément clé de la réconciliation. Enfin, j’incite toutes les personnes qui liront ce numéro de Perspectives à lire l’article de Bernie Froese-Germain et Rick Riel concernant le sondage de la FCE sur l’éducation autochtone; son analyse des résultats donnera à toutes les personnes intéressées d’excellentes indications de la voie à suivre pour mieux inclure et respecter les cultures et les histoires des Premières Nations, des Métis et des Inuits.


1 Évidemment, en 1992, le Nunavut faisait encore partie des Territoires du Nord-Ouest. Il est devenu un territoire le 1er avril 1999.

2 De 1992 à 1999, j’ai été membre de la Northwest Territories Teachers’ Association (NWTTA); à la suite de la création, en 1999, de la Federation of Nunavut Teachers (maintenant appelée l’Association des enseignants du Nunavut), je suis devenue membre de ce syndicat.

3 Intitulé Inuuqatigiit, ce programme d’études a été le premier à être conçu du point de vue inuit. Il s’est inspiré du programme d’études déné kédé des Territoires du Nord-Ouest, ancré dans les traditions de la Nation dénée de ce territoire.

4 Merci dans le dialecte inuktitut que j’ai appris à Baker Lake.


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