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Réflexion nouvelle sur la grève générale de Winnipeg

| Action politique, Droits des travailleurs et travailleuses, Militantisme

L’année 2019 marque le 100e anniversaire de la grève générale de Winnipeg, un évènement d’une importance déterminante dans l’histoire du mouvement syndical et de notre pays.

Durant plus de six semaines en 1919, Winnipeg est le théâtre d’une des plus longues grèves générales de l’histoire du Canada, grève qui aura des répercussions profondes et durables sur le mouvement syndical moderne et la politique canadienne.

Les conditions qui mènent à la grève générale de Winnipeg résultent de circonstances diverses qui ont préparé le terrain au fil des ans.

En 1919, la lutte des classes est un phénomène bien présent à Winnipeg[1]. Des milliers d’immigrants et immigrantes sont installés dans la partie nord de la ville, où les usines et les entrepôts bordent les gares de triage, dont les trains traversent la ville. Dans ces quartiers vivent de dynamiques communautés ouvrières allemandes, ukrainiennes, juives, polonaises, britanniques et autres qui ont leurs propres institutions politiques, éducatives, religieuses et culturelles.

La population y est dense, et les maisons sont souvent construites à peu de frais et subdivisées de manière à permettre aux propriétaires de multiplier les loyers. L’hygiène laissant souvent à désirer, ces communautés sont particulièrement vulnérables aux épidémies de typhoïde, de tuberculose, de grippe et de pneumonie.

Désireux d’améliorer leurs conditions, les travailleuses et travailleurs sont nombreux à se joindre aux syndicats et aux partis politiques socialistes, où ils jouent un rôle actif. D’ailleurs, la solidarité des travailleuses et travailleurs de Winnipeg pendant la grève générale a pris naissance dans le mouvement d’activisme amorcé des dizaines d’années auparavant.

Pendant la Première Guerre mondiale, les salaires sont bas et les conditions de travail, souvent dangereuses et insalubres. L’inflation galopante entraîne une baisse du pouvoir d’achat et, après la guerre, les usines sont nombreuses à ralentir leurs activités ou à fermer leurs portes.

À leur retour de la Grande Guerre, bon nombre des soldats sont incapables de trouver un emploi décent, ce qui, en plus des mises à pied, contribue à une hausse importante du chômage[2].

De leur côté, en contribuant à l’effort de guerre, les entreprises ont réalisé d’énormes profits aux dépens des travailleurs et travailleuses, et des soldats. L’inflation exerce sur la classe ouvrière une pression de plus en plus forte que cette dernière a de plus en plus de mal à supporter. Les travailleurs et travailleuses réclament alors le droit de négociation collective et le droit à un salaire décent, des droits que le mouvement syndical continue de défendre encore aujourd’hui[3].

Pendant la grève, les entreprises et les usines se retrouvent à l’arrêt, tandis que le comité central de grève coordonne les services essentiels. De nombreuses manifestations et marches pacifiques ont lieu, même devant les violences perpétrées par les agents de la « police spéciale ». Embauchés par le Citizens’ Committee of 1000 (un groupe composé de l’élite du milieu des affaires de Winnipeg) en remplacement de la force policière régulière de la ville qui s’est rangée du côté des grévistes dans un élan de solidarité, ces « agents spéciaux » sont armés de rayons de roues de wagon et autorisés à utiliser la force contre les grévistes.

Le 21 juin, que l’on appellera plus tard le « Bloody Saturday » (le samedi sanglant), la Police à cheval du Nord-Ouest fonce sans hésiter sur les grévistes. Si elle prend fin abruptement quelques jours plus tard, la grève incite les travailleurs et travailleuses à continuer de s’organiser et de se battre pour le droit de négociation collective et d’autres droits importants pour eux.

En conséquence, les années suivantes ont vu l’instauration du salaire minimum, l’amélioration des lois sur la santé et la sécurité au travail, l’adoption de normes d’emploi et, enfin, la reconnaissance d’un grand nombre des droits dont nous, travailleurs et travailleuses, bénéficions aujourd’hui. La grève a également servi de catalyseur au renforcement de partis politiques voués aux travailleurs et travailleuses, d’abord la Fédération du commonwealth coopératif (CCF), puis le Nouveau Parti démocratique[4].

Autre résultat de la grève, immédiat celui-là, a été la naissance d’une volonté d’accéder au pouvoir politique, qui a mené à l’élection de 11 représentants syndicaux lors du scrutin de 1920 au Manitoba, même si 3 d’entre eux étaient toujours en prison à ce moment-là en raison du rôle qu’ils avaient joué dans la grève. Le meneur de grève J.S. Woodsworth, élu pour la première fois au Parlement en 1921, a été une figure déterminante de la création de la CCF[5].

Aujourd’hui, le mouvement syndical du Manitoba s’affaire à préparer les célébrations entourant le centenaire de la grève générale de Winnipeg. Au cours des mois à venir, nous tiendrons un grand nombre d’activités spéciales et présenterons toutes sortes de projets commémoratifs afin de célébrer cet anniversaire. Winnipeg sera également l’hôte de nombreuses conférences syndicales en 2019, que des organisations syndicales des quatre coins du pays organiseront pour marquer ce jalon important de notre histoire. 

Nous ne soulignerons jamais assez l’importance du soutien que nous avons reçu du mouvement syndical en faveur des célébrations du centenaire, ici, au Manitoba, et dans l’ensemble du Canada. Sans le dévouement de nos sœurs, de nos frères et de nos amies et amis, ces évènements ne seraient pas possibles.

De l’héritage de la grève générale de Winnipeg une certitude ressort : les travailleurs et travailleuses ont beaucoup de pouvoir quand ils s’unissent en faveur d’objectifs communs et qu’ils travaillent au bénéfice de tout le monde.

Alors que les travailleuses et travailleurs canadiens doivent composer avec des gouvernements, à l’échelle fédérale et provinciale, qui font reculer des droits durement acquis, cet important héritage nous rappelle tout ce que nous pouvons accomplir quand nous unissons nos efforts

[1] Melissa Martin, « Economic inequality at root of Winnipeg General Strike », Winnipeg Free Press, le 16 juin 2012.
[2] Paul Moist, « Walker Theatre meeting helped set up Winnipeg General Strike », Winnipeg Free Press, le 21 décembre 2018.
[3] Congrès du travail du Canada, « Histoire du mouvement syndical au Canada », [En ligne]. [http://congresdutravail.ca/pourquoi-des-syndicats/histoire-du-mouvement-syndical-au-canada]. (Consulté le 17 janvier 2019).
[4] Kate Kehler, « General strike lessons learned », Winnipeg Free Press, le 26 juin 2015.
[5] Ibid.





Kevin Rebeck est le président de la Manitoba Federation of Labour.

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