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Réflexion sur le Camp VOX : L’art et la science des campagnes d’action politique

| Action politique

Au début d’octobre 2014, la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE) a été l’hôte du Camp VOX, un évènement de trois jours à l’intention des membres du personnel de ses organisations Membres des quatre coins du pays, dont le travail ou le rôle comporte un volet d’action politique. Tenu exprès bien avant les prochaines élections fédérales, cet évènement a été coanimé par Graham Mitchell, directeur de la formation et du leadership à l’Institut Broadbent, une organisation indépendante et non partisane qui milite pour un changement progressiste, et Jesse Boateng, gestionnaire de programmes chez 270 Strategies, une société américaine d’experts-conseils qui a joué un rôle important dans la campagne de réélection du président Barack Obama.

Si le Camp VOX a demandé un effort intellectuel de la part des participantes et participants, il s’est déroulé à un rythme que tout le monde a pu suivre aisément. Les techniques et les outils que nous avons explorés ensemble pendant ces trois jours de formation ne se limitent pas à la préparation de campagnes d’action politique; leur application va beaucoup plus loin. C’est d’ailleurs l’une des choses que les personnes participantes ont le plus appréciées. Parmi les sujets explorés figurent les principes fondamentaux d’une campagne efficace, les stratégies de recrutement et de maintien en poste des bénévoles, et la manière de former et de mobiliser des équipes efficaces.

Tout au long de ma carrière en éducation, mais plus particulièrement lorsque j’étais conseiller en planification de l’amélioration de l’enseignement et des écoles, j’ai animé de nombreuses séances d’apprentissage professionnel destinées aux adultes et pris part à bon nombre d’ateliers de perfectionnement du personnel. J’ai donc tendance, lorsque je participe à des séances d’apprentissage professionnel, à regarder le contenu d’un œil et à observer le processus de l’autre, à mesure que les animateurs et animatrices nous guident dans notre parcours d’apprentissage.

Au Camp VOX, j’ai apprécié le fait que nos coanimateurs, MM. Mitchell et Boateng, nous expliquent clairement le comment et le pourquoi des activités et des tâches proposées. Notre apprentissage n’en a été que plus riche. Les animateurs ont également su trouver un juste équilibre entre la théorie et la pratique. Pendant les trois jours, ils nous ont donné diverses occasions, en équipes de deux ou plus, d’approfondir notre compréhension des outils et des stratégies d’élaboration d’une campagne et de mettre en application ce que nous avons appris. Ils nous ont aussi aidés à repérer l’expertise et les ressources déjà présentes dans nos propres trousses d’action politique, pour ensuite en suggérer d’autres. Enfin, ils ont pris soin d’honorer et de mettre à contribution la sagesse et l’expérience, tant individuelles que collectives, des participantes et participants des organisations Membres de la FCE.

Graham Mitchell et Jesse Boateng ont attiré l’attention sur les lignes directrices suivantes au sujet des campagnes d’action politique axées sur l’éducation :

  • mener des campagnes positives et constructives afin de réduire le risque d’être catalogué et rejeté ou marginalisé en tant que « groupe d’intérêt »;
  • faire le lien entre la cause et la campagne, et les réalités et expériences quotidiennes des membres ou du public qu’on tente de rejoindre ou de mobiliser;
  • empêcher la classe politique et les décisionnaires d’écarter les questions importantes à l’aide d’une réponse du genre « ce n’est pas de notre compétence. C’est une question fédérale (ou provinciale selon le cas) »;
  • revendiquer sa place dans le discours public et se l’approprier en s’assurant que les principaux objectifs et les grands messages de la campagne sont clairs et mémorables, et qu’ils retentissent dans le discours politique du jour;
  • trouver des façons de traduire les enjeux fédéraux en priorités provinciales et territoriales. Autrement dit, trouver des façons de greffer des branches provinciales ou territoriales à l’arbre du discours politique pancanadien;
  • utiliser les outils à sa disposition pour élargir la portée du message.

Comme je l’ai dit plus haut, de nombreux aspects du Camp VOX, par exemple la formation des équipes ainsi que le recrutement et le maintien en poste des bénévoles, ont été très utiles. Cependant, deux ont été pour moi particulièrement intéressants.

Avant de parler du premier aspect, permettez-moi de vous poser une question. Vous êtes-vous déjà servi d’une histoire professionnelle ou personnelle pour établir le dialogue avec un groupe d’élèves, de collègues ou d’autres personnes? Je soupçonne que presque tout le monde l’a déjà fait au moins une fois, soit intentionnellement, soit spontanément.

Comme beaucoup d’entre vous, je me suis souvent servi d’histoires dans mon travail, mais j’admets n’avoir jamais vraiment réfléchi à la construction objective et à l’utilisation stratégique d’une histoire à la manière structurée de Graham Mitchell et Jesse Boateng. Selon eux, nous avons tous des histoires passionnantes que nous pouvons raconter et utiliser pour établir un lien avec les autres. Les histoires personnelles que nous décidons de raconter dans le cadre d’un discours ou d’un message public nous aident à transmettre nos valeurs et nos croyances, à susciter l’empathie, à faire valoir une perspective au moyen d’expériences partagées ou similaires, à faire avancer des idées et à lancer un appel à la mobilisation susceptible d’inciter les autres à passer à l’action. L’arc narratif de l’histoire personnelle se divise comme suit, dans l’ordre : le problème → le choix → le résultat → la demande.

Lorsque nous avons commencé à explorer le pouvoir de l’histoire personnelle et à examiner un modèle permettant de la structurer, certains participants et participantes se sont demandé si l’utilisation d’un « modèle » pour élaborer une histoire personnelle ne risquait pas de miner son authenticité ou son caractère spontané. Nos animateurs ont souligné que l’histoire personnelle, en particulier lorsqu’elle est utilisée de facon stratégique, doit être crédible et authentique, ou fondée sur un fait vécu; autrement, elle risque en effet de ne pas être crue et de produire des effets contraires à ceux attendus. Au début, ce genre de modèle peut sembler artificiel, mais son utilisation devient plus naturelle au fil du temps.

À la suite du Camp VOX, je me suis dit que j’utiliserai ce modèle pour peaufiner au moins une de mes propres histoires en vue de l’utiliser plus tard. Graham Mitchell et Jesse Boateng ont insisté sur le fait qu’il faut du travail pour polir et parfaire une histoire personnelle qu’on veut utiliser de façon stratégique. Je vous présente donc ci-dessous mon histoire personnelle telle que je pourrais l’utiliser si une campagne particulièrement rude devait se mettre en branle en éducation. En la lisant, voyez si vous arrivez à repérer facilement l’arc narratif (problème, choix, résultat, demande).

En juin 1995, mes élèves se préparaient en vue des évaluations finales d’un cours de droit du palier secondaire. Ils se préparaient également fébrilement pour leur bal des finissants auquel ils m’avaient demandé d’assister en tant qu’enseignant accompagnateur, ce que j’avais accepté avec plaisir.

Cependant, un problème s’est vite présenté. En effet, le personnel de l’hôtel qui avait été réservé plusieurs mois auparavant pour la tenue du bal avait déclenché une grève. Je devais maintenant jongler avec deux priorités concurrentes. D’une part, les élèves, avec qui j’avais développé une bonne relation, comptaient sur ma présence et, d’autre part, ma solidarité envers les travailleuses et travailleurs et les syndicats m’empêchait de franchir les piquets de grève des employés de l’hôtel. J’étais confronté à un vrai dilemme. Qu’allais-je faire?

Après une longue et douloureuse réflexion, j’ai finalement fait un choix difficile : je n’allais pas franchir les piquets de grève. Je me devais cependant d’expliquer sincèrement et clairement à mes élèves les raisons de mon choix, et je leur ai dit exactement pourquoi je ne pouvais pas enfreindre l’un des principes qui me tient le plus à cœur. Ils étaient déçus.

La veille du bal, deux élèves m’ont apporté une boutonnière blanche en me disant qu’elles voulaient simplement me dire qu’elles comprenaient ma position et qu’elles savaient que je serais là en pensée.

Alors, voilà. Dans la campagne que nous nous apprêtons à mener, vous serez peut-être appelé à prendre des décisions difficiles, des décisions qui vous obligeront à concilier des intérêts divergents. Vous aussi vous trouverez peut-être coincé entre une boutonnière blanche et un piquet de grève, mais je vous demande de songer à mettre celle-là de côté pour qu’ensemble, nous puissions atteindre notre but commun et présenter un front uni, en personne et en pensée.

Arrêtons-nous ici un instant. Avez-vous vu, entendu ou senti la transition entre les quatre éléments de mon histoire personnelle?

Passons maintenant au deuxième aspect du Camp VOX qui continue de me faire réfléchir : la recherche d’alliés atypiques dans une campagne. Je vais vous raconter une histoire qui vous montrera en quoi une telle recherche est effectivement utile. Avant la réunion du personnel de la FCE, j’ai écouté par hasard une émission de radio de la CBC, la chaine anglaise de Radio-Canada, qui portait sur les caractéristiques que partagent habituellement les gens qui survivent à une crise. L’une de ces caractéristiques est la pleine conscience. Et pour bien montrer l’importance de cette caractéristique, l’un des invités à l’émission a raconté l’histoire d’un agent du FBI qui était convaincu qu’à un moment donné au cours de sa carrière, il serait obligé de tenter de désarmer un assaillant. Cet agent s’est donc exercé pendant quelque temps, avec un partenaire, à désarmer un « adversaire ». Pendant cet exercice d’autoformation, il enlevait son arme à son adversaire, lui redonnait, puis répétait l’opération. Après de nombreuses séances d’entrainement, cet exercice était devenu pour lui un automatisme.

Un jour, dans l’exercice de ses fonctions, notre agent s’est en effet retrouvé face à un adversaire armé. Il a réussi à le désarmer rapidement, mais, en raison de la routine à laquelle il s’était astreint pendant l’entrainement (prend — redonne — prend…), lui a inconsciemment redonné son arme.

Voici maintenant le parallèle entre cette histoire et notre travail d’action politique dans le contexte de l’éducation. En voulant faire de notre mieux, nous courons tous et toutes le risque de nous engager corps et âme dans nos histoires et celles de nos organisations au point de perdre notre sens critique. Greg Jodouin, LL.B., associé chez PACE Consulting, qui a aussi partagé ses idées et son expertise avec nous dans la dernière partie du Camp VOX, a laissé entendre que l’un des moyens d’éviter cet écueil était de chercher des alliés atypiques, pas seulement les alliés habituels. Les alliés inhabituels nous aident à ne pas nous enfermer dans notre mode de pensée. Ils font contrepoids et nous complètent en même temps. Autrement, nous risquons de fournir inconsciemment à nos adversaires les armes qui leur permettront de miner notre campagne et de nous mener à une cuisante défaite.

Chose certaine, le Camp VOX nous a donné ample matière à réflexion. Il nous a également donné l’occasion de réexaminer et de renforcer nos connaissances et compétences dans le domaine de l’élaboration et de la mise en œuvre de campagnes, et présenté de nouveaux trucs et astuces. Il nous reste maintenant à intégrer ce que nous avons appris dans notre travail et nos campagnes respectives.

Cet article se fonde sur les commentaires formulés à l’occasion d’une discussion de groupe tenue dans le cadre de la Réunion nationale de la FCE pour le personnel, le 21 novembre 2014.

Photo de groupe
Les membres du Réseau national d’action politique du personnel enseignant ont participé au Camp VOX
du 3 au 5 octobre à Ottawa. 


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