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Renouer avec la terre : remonter le moral des enseignants(es)

| Éducation autochtone, Justice sociale

Renouer avec la terre : un bon moyen de remonter le moral des enseignantes et enseignants après un dur labeur émotionnel

Rassemblés sous un ciel ensoleillé au bord du lac Kawkawa, une vingtaine d’enseignantes et enseignants écoutent, captivés, l’historien et conseiller culturel de renom Naxaxalhts’i, Albert “Sonny” McHalsie, membre de la Nation Stó:lo, leur parler de S’ólh Téméxw, les magnifiques lacs, rivières et montagnes situés dans le territoire traditionnel non cédé de son peuple. 

Cette journée bien particulière de perfectionnement professionnel et de bien-être, c’était le cadeau que la FECB tenait à offrir à ces enseignantes et enseignants pour les remercier du travail aussi important que difficile qu’ils accomplissent en tant qu’animateurs et animatrices d’ateliers sur l’éducation autochtone. En compagnie de quelques collègues non autochtones, ils ont donc passé une journée hors du temps pendant laquelle ils ont renoué avec la terre et appris des noms de lieux et des concepts dans la langue halq’eméylem.

À bord de l’autobus qui roule en longeant la rivière, Sonny explique qu’il raconte tant des sqwélqwel, c’est-à-dire des faits véridiques et des histoires personnelles, que des sxwo-xwiyam, les récits des Xexá:ls, les transformateurs, sur la création. Il parle de l’origine du grand héron; de la montagne qui ressemble, quand on la regarde de la rivière en amont à un homme et, en aval, à une femme; de l’eulakane, autrefois abondant dans la rivière mais aujourd’hui décimé par la surpêche en aval; et de la beauté des terres de jeûne des femmes, situées haut dans les collines, aujourd’hui victimes de l’exploitation forestière. Au bord du lac, il parle du masque sacré et de l’épidémie de variole de 1782, qui a emporté près de 90 % de la population. « Des villages entiers ont été décimés. Les habitantes et habitants ont été trouvés morts dans leurs canots, leurs maisons. »

« Les choses dont nous parlons en classe peuvent être très traumatisantes pour les personnes d’origine autochtone, indique Jesse Halton. Mais ce jour-là, en prenant contact avec la terre, en plongeant mes mains dans l’eau du lac Kawkawa, je me suis senti complètement revigoré! Je pouvais sentir la présence des gens du lac. »

À Hope, l’autobus prend la direction du camping Telte-Yet où se trouve l’ancien site d’une sqemel « ou, comme diraient les anthropologues, une “habitation hivernale circulaire semi-souterraine” », lance Sonny avec ironie en montrant un profond trou circulaire dans le sol. Il demande à quatre enseignantes et enseignants de se placer à quatre endroits précis pour indiquer où se trouvaient les poteaux de la maison et explique comment les maisons étaient construites pour rester fraîches en été et chaudes en hiver. 

Le moment est fort en émotions pour Dani Pigeau et son père Harold Lock, un cousin de Sonny. L’arrière-arrière-grand-père des deux hommes, Sexyel, aussi appelé Captain Charlie, a habité dans cette maison désormais disparue.

« Me tenir là, à l’endroit même où mes ancêtres ont vécu, m’a beaucoup émue. C’est un site sacré qui est devenu un terrain de camping commercial. Les gens ignorent que nous avons vécu et que nous sommes morts ici. Le site sacré est dissimulé, mais on peut quand même y sentir l’énergie des esprits », explique Dani. Je suis si reconnaissante que nous ayons encore nos gardiennes et gardiens du savoir. La journée a été extraordinaire, un vrai cadeau. »

Pour Brian Coleman, le voyage a suscité tristesse et nostalgie. « Je garde de bons souvenirs des voyages que nous faisions en voiture, avec mon père et mes sœurs, le long du canyon [Fraser] quand j’étais enfant. Papa nous racontait des histoires, mais, à l’époque, je ne comprenais pas tout ce que nous avions perdu. Cette terre est si riche! Mais nous avons tant perdu. »

Quelle a été l’ampleur de la perte? Quand et où cette perte est-elle survenue? Qui en a souffert? Ces questions difficiles font partie des leçons que les Canadiennes et Canadiens commencent à apprendre et que le personnel enseignant doit enseigner. Pour soutenir ses membres, la FECB leur offre 12 ateliers différents sur des sujets tels que l’héritage des pensionnats indiens, l’intégration du contenu autochtone, les perspectives autochtones et la décolonisation. Ces ateliers sont très populaires : parmi les 296 offerts pendant l’année scolaire 2018-2019, 94 portaient sur l’éducation autochtone. Les animateurs et animatrices sont hautement qualifiés et passionnés par ce travail qui demeure néanmoins chargé en émotions. 

« C’est un peu comme souffrir du trouble de stress post-traumatique et être constamment exposé à des éléments déclencheurs. Je vis cette histoire, et elle vit en moi. La raconter, c’est un peu comme arracher un pansement chaque fois, dit Jacquie King. En même temps, c’est très gratifiant, parce que les personnes qui m’écoutent me sont tellement reconnaissantes de la leur raconter. Elles n’en apprendraient pas autant sans nos voix authentiques. »

Les animateurs et animatrices ont exprimé leur frustration devant le fait qu’une partie de la population canadienne ignore toujours ce pan de l’histoire malgré les longues audiences et les volumineux rapports de la Commission de vérité et réconciliation et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

« Les gens s’exclament : “Oh mon Dieu! Je ne savais pas!” Mais comment peut-on encore ne pas savoir? se demande Peggy Janicki. Je n’ai plus beaucoup d’indulgence pour ce genre de réaction. J’enseigne ce pan de l’histoire depuis 16 ans! »

Cela dit, il reste que des générations entières de Canadiennes et Canadiens n’ont absolument rien appris sur le système des pensionnats indiens : les 150 000 enfants retirés à leurs familles et les 6 000 qui sont morts; la faim; la tuberculose; la violence physique, sexuelle et spirituelle. La vraie histoire est tellement choquante et brutale qu’elle est souvent accueillie avec scepticisme, bras croisés, voire exaspération.

« Il y en a toujours dans la salle qui veulent tout vérifier. Ils se jettent sur leur ordinateur portable ou leur téléphone pour contrôler si ce que je dis est vrai. C’est un peu comme s’ils me disaient : “Je ne crois pas ça parce que toute ma vie j’ai appris autre chose”, dit Claire Akiwenzie. Beaucoup de gens m’écoutent attentivement, mais il y en a toujours chez qui ça ne passe pas. Ils sont complètement emmurés dans leurs convictions. »

Heather Froste ajoute en hochant la tête : « L’an dernier, j’ai trouvé que la réaction était plutôt du genre “ça va, ça va, j’ai compris, donne-moi juste les plans de leçon”. Les gens ne veulent pas faire le travail. Ils veulent seulement mettre un crochet dans une case. L’histoire des pensionnats, fait! Mais ce n’est pas ce que j’appelle un geste de réconciliation. »

Non seulement certaines personnes remettent en question la véracité de l’information, mais elles mettent également en doute l’identité même des animateurs et animatrices. Carlo Pavan explique que tous les animateurs et animatrices se heurtent à de la résistance de temps à autre, peu importe le sujet. « Mais la différence, ici, c’est que nous parlons de nous — de notre histoire, des expériences que nous avons vécues, de notre identité. Alors quand la résistance se manifeste à l’égard de cette identité, le coût émotionnel est beaucoup plus élevé. Nous nous sentons bafoués. Je me demande souvent si les animateurs et animatrices d’ateliers sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ressentent la même chose. »

Branden Peters est du même avis : « La résistance tient en partie à la fragilité blanche, parce que cette histoire dérange les gens. Elle fait naître une palette d’émotions où se côtoient inconfort et culpabilité. »

La directrice d’une école intermédiaire a déjà demandé à Peggy d’y « aller doucement » avec les membres du personnel parce qu’ils avaient été bouleversés par l’exercice de la couverture. « Désolée, il n’y a pas de version douce de cette histoire, lui a-t-elle répondu. C’est une pédagogie de l’inconfort ».

Aussi troublant que cela puisse être, les enseignantes et enseignants sont appelés à faire face à ces vérités qui dérangent. Des changements importants ont été apportés aux programmes d’études de la Colombie-Britannique afin d’y intégrer l’histoire et la culture autochtones. De plus, les nouvelle normes du BC Teachers’ Council exigent que les membres de la profession « jouent un rôle positif dans la recherche de la vérité, la réconciliation et la guérison ».

Et c’est exactement ce que fait Jean Moir dans sa classe de 3e-4e-5e année en contribuant au projet pilote Gladys We Never Knew, un outil de la FECB qui raconte l’histoire de Gladys Chapman, une petite fille qui a été retirée de sa famille, à Spuzzum, et confiée au pensionnat indien de Kamloops, où elle est morte de la tuberculose à l’âge de 12 ans. 

« La visite de la tombe de Gladys a été pour mes élèves l’une des plus profondes expériences d’apprentissage qu’ils aient jamais vécue. Ils ont ainsi eu l’occasion extraordinaire de comprendre son histoire tant avec leur cœur qu’avec leur tête », dit-elle au moment où l’autobus passe devant le cimetière de la famille Chapman, près de Spuzzum.

« Les enfants ont un sens inné de l’équité. Alors quand on leur parle des injustices, tant celles du passé que celles d’aujourd’hui, ils sont outrés et prêts à passer à l’action. Maintenant, mes élèves retournent à la maison et sensibilisent leurs parents à la vraie histoire du Canada. »

Jean exhorte les enseignantes et enseignants non autochtones à plonger dans ce travail, l’esprit et le cœur ouverts. 

« C’est un parcours vraiment personnel qui prend son propre élan une fois qu’on commence à aller au fond des choses, dit-elle. On est confronté à sa propre honte, à son propre inconfort et à ses propres préjugés, mais cela en vaut tellement la peine. Quand on reconnaît la difficulté d’une chose et qu’on réussit à surmonter cette difficulté, on devient une meilleure personne. »

Source photo : Janet Stromquist


Nancy KnickerbockerDirectrice des communications et des campagnesFédération des enseignantes et enseignants de la Colombie-Britannique (FECB)
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